Marie Holleville
Avant-propos :
L’après-midi théâtrale et de débat organisée par le Collectif Lillois de Psychanalyse autour de la « Queer psychanalyse » n’aurait pu faire événement si elle n’avait été suivie par un public nombreux et attentif. Par sa présence silencieuse mais active, ses réactions bruyantes mais décisives, ses prises de paroles économes mais particulièrement éclairantes, il l’a non seulement rendue possible mais aussi orientée dans ses délinéaments imprévus. Aussi, nous avons souhaité que nos prolongements théoriques d’après-coup organisés en série soient ponctués par les témoignages uniques en leur genre des spectateurs. Voici le troisième, celui de Marie Holleville.
Lady Oscar
Marie Holleville
C’est avec enthousiasme et en Dacia que je me rends à la conférence-débat théâtrale organisée par le Collectif Lillois de Psychanalyse. Je m’y trouve en tant que psychiatre travaillant avec l’hypothèse de l’inconscient, femme née au siècle dernier, comédienne. L’après-midi devrait me plaire.
Au cabinet je constate en effet les évolutions culturelles autour de la question du genre. Certain.e.s patient.e.s né.e.s au siècle dernier déploient cette question et celle de l’homosexualité, évoquant dans leur enfance leur identification au genre opposé, leur attirance très jeune pour les personnes de même sexe, l’importance de se féminiser ou de se masculiniser et de cacher leur homosexualité dans le monde du travail des années 80 pour éviter d’être licencié.e.s. Quelques un.e.s évoquent leurs enfants qui décident de changer de genre, de prénom, sans nécessairement changer de sexe. Ce sont parmi mes patients des femmes parlant sereinement de leurs filles. Pour d’autres, surtout des hommes, l’homosexualité de leur fils est intolérable. Je me suis demandée si cette répartition était induite par le fait que je sois une femme.
La question du genre est depuis quatre ou cinq ans parfois d’emblée évoquée sur mon répondeur par des patients nés au début de ce siècle lorsque m’est demandé un suivi dans le cadre d’une démarche médico chirurgicale de transition.
Femme née au siècle dernier, j’ai grandi avec les dessins animés dont Lady Oscar « habillée comme un garçon ». De ce dessin animé je ne me souviens que de ma fascination à le regarder et de l’émoi d’un homme qui s’était battu avec celle qu’il prenait pour un autre homme lorsque son chemisier s’est ouvert, dévoilant une poitrine de femme.
J’ai entendu parler de chirurgie de transition pour la première fois dans l’enfance, peut-être avais-je sept ou huit ans. Je voulais être un garçon. Plus tard, tu pourras te faire opérer pour en devenir un avait cette fois répondu ma mère. Face à mon effroi, mon interrogation sur l’existence de ce type d’acte, ma mère avait répondu que ça n’existait pas, c’était une blague. « Je veux être un garçon » signifiait « je veux être avec mon père ». Il passait beaucoup de temps avec mon frère pour des activités attribuées au genre masculin dont j’étais exclue du fait de ma condition de fille, de mon genre. Durant ma petite enfance ma mère m’avait fait porter des vêtements qu’elle qualifiait de mixtes pour des raisons économiques avouées : ceux-ci pourraient être portés plus tard par mon frère. Ma mère voulait un garçon. Mes deux parents portent des prénoms mixtes, dont un épicène.
Au siècle dernier, le fait que mon frère demande une Barbie pour Noël a généré un malaise chez mes parents qui ont essayé de l’en dissuader. Il avait été sermonné quelques années auparavant quand en moyenne section de maternelle, il avait embrassé sur la bouche un autre petit garçon.
En avance sur leur temps, mes grands-parents ont acheté une Barbie à mon frère. En retard, ils ont émis l’hypothèse de l’hermaphrodisme chez une cousine pour expliquer pourquoi à trente ans elle n’était toujours pas mariée.
Si je ne voulais pas me représenter ce que peut être la chirurgie de transition, c’est raté. Étudiante en première année de médecine en 1998, le film d’une telle opération nous est crûment projeté sur l’écran de l’amphi lors de la pause méridienne pour nous faire patienter avant le cours d’anatomie. Sans le son. Sans explication. Juste des images. Évidemment, l’enjeu n’était pas l’enseignement médical mais l’exhibition de sexes.
Au siècle dernier, la chirurgie n’était pas aussi banalisée. On ne changeait pas de nez, de paupières, de seins, de rides, de bide aussi facilement.
Au cours de cette première année de médecine, des insinuations sont adressées par certains jeunes hommes de l’amphi à l’encontre de profs supposés homosexuels car jugés maniérés. L’année suivante, des insultes homophobes sont proférées dans la cour de la fac à l’encontre de notre prof d’Anglais et de son compagnon, devant une quinzaine d’étudiants restés sidérés. C’était les années 2000.
Retour en 2023 et sa « Conférence-débat théâtrale ». J’aime ce « e » à « théâtrale » qui accolé à « débat » accroche le regard tout en s’accordant en genre avec le nom auquel il se rapporte.
Les comédiens entrent en scène. Petit pincement. Nous aurions pu être ces comédiens David et moi. La scène de l’interpellation est jouée, Christophe, Kristina et Jean-Yves en ont préalablement parlé lors du séminaire. La deuxième scène reprend une séquence du documentaire « Petite Fille » : une mère et son enfant Sasha, se trouvent dans le bureau d’un pédopsychiatre. Je me demande comment j’aurais joué le psychiatre (à aucun moment je ne me dis que j’aurais pu incarner la mère) et suis mal à l’aise. En atelier théâtre j’avais déjà refusé de jouer une scène dans laquelle un médecin poussait au suicide un patient. Trop compliqué. Jouer implique de s’appuyer sur sa propre expérience. Je n’aime pas tellement cette posture du psychiatre-sachant. C’est pourtant tellement reposant.
Sasha est représenté(e) par un diadème (dyade-aime). Sa mère tente en vain d’interroger ce qui viendrait d’elle dans le fait que son enfant se sente fille dans un corps de garçon. Les interventions des psy sont violentes dans les deux scènes successives. Le psychiatre renvoie à la mère qu’elle n’y est pour rien et ferme ainsi tout travail d’élaboration possible faisant fi du conseil donné par Freud aux médecins, rappelé par Fabrice Bourlez, d’éviter de trop savoir de choses a priori. Le psychanalyste au conservatisme rétrograde culpabilise davantage la mère et ferme également toute possibilité de mise au travail. J’ose espérer qu’aucun psychanalyste ne tiendrait ce genre de discours face à une mère/patiente/analysante.
Cette dyade mère-Sasha m’évoque le film de Guillaume Gallienne « Les garçons et Guillaume, à table ! » dans lequel est illustré l’enfant-objet dépendant du désir de sa mère, film qui parle d’identité sexuelle, de choix d’objet, au siècle dernier.
La comédienne quitte la scène, tend la main à Jean-Yves pour l’aider dans la pénombre à descendre de la scène, théâtre et psychanalyse main dans la main.
Puis est jouée la scène de l’homme à la jupe de Kristina dans laquelle un homme qui se prend pour un commercial (ou un commercial qui se prend pour un commercial) voit, désire et essaye une jupe. Dans cette scène, le port de la jupe est voluptueux. L’homme ne se prend pas pour une femme. Se prendra-t-il par la suite pour une femme ? Deviendra-t-il une femme ?
Concernant la scène de la conférence de Paul B. Preciado lequel fait état de la mutation épistémologique que constitue le renversement du dogme de la différence sexuelle, je ne sais si les huées du parterre de psychanalystes lacaniens traduisent le vécu de Paul B. Preciado ou constituent un travestissement de la réalité des faits.
La scène suivante est celle du cabinet de l’analyste Fabrice Bourlez et de l’analysante avant et après qu’elle a vu son analyste dans la rue militer et se revendiquer homosexuel. Certains patients sont venus au cabinet après m’avoir vue jouer dans la pièce de David et je me suis interrogée sur ce que cela avait pu induire dans la thérapie. J’y incarnais une petite fille. D’autres patients que je suivais déjà m’ont dit qu’ils s’étaient refusés à venir me voir jouer.
Après la pause, Fabrice Bourlez qui a réagi et pris des notes au cours de la représentation, déroule un discours prolixe. Il débute par une présentation de son ouvrage Queer Psychanalyse de 2018, qu’il faut entendre comme « qu’ouïr psychanalyse ? ou comment entend-on le contemporain ? » Selon Fabrice Bourlez, la clinique majeure se prévaut d’une métapsychologie dont le quadripode est la loi d’Œdipe, l’homophobie latente, l’hétéronormativité et le dogme de la différence sexuelle. D’autres mythes que le mythe œdipien, d’autres scènes que la scène de l’Inconscient existant, une autre métapsychologie est à développer, la clinique mineure ne se prévalant d’aucune métapsychologie constituée. Je ne sais pourquoi mais je pense à ce moment-là à Serge Gainsbourg et sa qualification de la chanson d’art mineur.
Le mouvement Queer est un mouvement militant, les théories Queer sont du côté de la stratégie rappelle Fabrice Bourlez. Le second temps sera de « passer du collectif à l’intime ». Je reste perplexe face à ce que j’ai ensuite perçu comme une torsion logique « on est tous des pervers polymorphes et les pervers on ne les voit pas dans notre cabinet » mais Fabrice Bourlez parlait déjà depuis un moment.
Lors de la dernière partie de la conférence-débat théâtrale, le public lui adresse des questions. En off, Fabrice Bourlez a pu nuancer ce qu’il a répondu de façon péremptoire à une étudiante en psychologie quand il a dit que la psychanalyse ne s’apprenait pas à la fac.
Lorsque j’ai commencé mon internat de psychiatrie il y a presque 20 ans, des conseils de lecture nous ont été donnés lors de la réunion d’accueil : il était complètement inutile de lire Lacan.
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