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Photo du rédacteur Collectif Lillois de Psychanalyse

Pattern Austère

David Deneufgermain



Avant-propos :

L’après-midi théâtrale et de débat organisée par le Collectif Lillois de Psychanalyse autour de la « Queer psychanalyse » n’aurait pu faire événement si elle n’avait été suivie par un public nombreux et attentif. Par sa présence silencieuse mais active, ses réactions bruyantes mais décisives, ses prises de paroles économes mais particulièrement éclairantes, il l’a non seulement rendue possible mais aussi orientée dans ses délinéaments imprévus. Aussi, nous avons souhaité que nos prolongements théoriques d’après-coup organisés en série soient ponctués par les témoignages uniques en leur genre des spectateurs. Nous vous proposons ainsi un premier témoignage.


PATTERN AUSTÈRE

David Deneufgermain


Samedi quinze avril, dix-sept heures trente, rencontre terminée, j’applaudis les acteurs et Fabrice Bourlez, je félicite les organisateurs de l’événement, bravo, c’était chouette, riche, vivant, interactif, une vraie réussite. J’échange avec joie quelques paroles au bar avant de reprendre le volant. Mes vacances de printemps débutent.


Dix jours plus tard, Christophe m’évoque son souhait de recueillir des témoignages de spectateurs – ça m’intéresserait d’avoir le tien, David. Avec plaisir, Christophe. Ma réponse est spontanée. Je me mets devant mon ordinateur. Une difficulté surgit dès les premières lignes. Si ma présence à l’événement est la condition nécessaire pour en témoigner, la qualité de cette présence est primordiale. Problème : ce quinze avril, la qualité de ma présence est médiocre, me revient mon état d’esprit catastrophique avant la rencontre.

À 14h15, heure de mon arrivée, je me demande ce que je fiche ici, au théâtre Ronny Coutteure, une ferme réaménagée en salle de spectacle. Pas envie d’être là. Pas envie d’être ailleurs non plus. Envie d’être nulle part. Quelque chose ne va pas. Je ne suis pas en forme. Je me souviens avoir roulé quarante minutes sans dire un mot à Marie qui m’accompagne à cette rencontre et dans la vie. Je me souviens de la radio dans la voiture dont le bruit couvre notre silence. J’identifie mal ce qui me pousse à participer à cette conférence théâtrale : l’amitié pour Christophe Kristina et Jean-Yves sans doute. C’est d’ailleurs une histoire d’amitié leur conférence – c’est notre amitié à tous les trois qui l’a rendue possible rappelle Christophe à la fin, confidence émouvante. À moins que je ne vienne pour Marie : elle, contrairement à moi, a très envie de participer à l’événement – en amont de notre venue elle a acheté des ouvrages sur les théories du genre. N’est pas exclu que je vienne également par curiosité, pour voir ce que vont accomplir les deux acteurs. Je pose ces trois hypothèses sur le papier – amitié, amour, curiosité – sans que rien ne rende compte du désert dans lequel, assis au volant de mon véhicule, je me trouve.


À ce stade de mon engagement donné à Christophe de lui livrer mon témoignage, je me dis que sa déception risque d’être grande à la lecture de ces premières lignes mais qu’à défaut d’être un témoin idéal je peux déjà m’efforcer d’être un témoin fiable, quelqu’un qui énonce les filtres à travers lesquels il a vu ce qu’il a vu. Le quinze avril donc, assis dans un fauteuil rouge à 14h30, c’est depuis ce lieu gazeux où patauge ma subjectivité que je reçois cette conférence théâtrale dont tout indique qu’elle va bientôt commencer.


Noir.


Lumière.


Première scénette. Hep, vous là-bas ! Un flic barbu interpelle une jeune femme dans la rue. La passante se fige. Elle se retourne. Le dispositif scénique est efficace, les comédiens sont bons, j’oublie qu’ils jouent, le pacte avec le spectateur est noué. Si quelqu’un ignore de quoi il retourne lorsqu’Althusser parle d’assignation, le voici aidé. L’effet de la parole performative du policier sur le corps de la jeune femme est parfaitement rendu. Un individu s’éprouve libre, une parole l’emprisonne dans du sujet « prêt-à-porter ». Une cage à la recherche d’un oiseau, dirait Kafka. L’oiseau y rentre, en direct.


Deuxième scénette, tirée du documentaire Petite Fille. Un bureau : deux chaises d’un côté avec sur l’une un diadème, une autre en face sur laquelle s’assoie le psychiatre – toujours barbu – qui reçoit une mère au visage éprouvé et son enfant au prénom épicène, Camille – figuré.e par le diadème. Camille, né.e dans un corps de garçon, se vit comme fille. La mère consulte le psychiatre pour ielle. L’autorité médicale est interprétée successivement dans sa version déculpabilisante (« vous n’y êtes pour rien, madame ») puis culpabilisante (« vous faites n’importe quoi, madame »), deux versions d’une même violence de la parole médicale. Je remue. Ce qui se joue sous mes yeux dérange le psychiatre que je suis, sans doute parce que j’ai déjà fait ce que vient de faire mon homologue sur scène – déculpabiliser, rassurer. À gêner mes voisines en me trémoussant, je sens combien tout mon corps et mon être refusent la mise sur le même plan de ces deux violences. La seconde version de l’autorité médicale, culpabilisante, est insupportable – je ne peux pas m’identifier à cette façon d’accueillir la plainte de mon prochain en lui giflant le visage avec. La première version en revanche, déculpabilisante, n’a rien à voir avec la seconde. Mon corps refuse l’amalgame. J’entends bien que déculpabiliser la mère de Camille ne permettrait pas que soit mis au travail ce qui de son inconscient à elle, de son désir ou de son histoire participerait à l’inadéquation entre identité anatomique et psychique de son enfant. J’entends bien que déculpabiliser cette mère obèrerait tout travail avec elle et que ça fermerait quelque chose.


Mais il est des fois où il faut savoir tout fermer et différer le travail. Sur scène, sous mes yeux, c’est une autre mère désœuvrée qui prend place : Evelyne, une de mes patientes. Je quitte mon siège, je la rejoins sur les planches, pas de bureau entre nous, juste nos corps face-à-face au fauteuil. Évelyne débarque dans ma tête comme elle a débarqué dans mon cabinet l’an dernier, pas lavée, l’haleine pâteuse, pâle, les cheveux ébouriffés. Ma fille a été internée hier me dit-elle en regardant le diadème posé à côté d’elle. Elle poursuit : Bérénice a déambulé dans la rue hier, elle délirait, le Samu l’a emmenée. Je l’ai accompagnée aux urgences, je suis rentrée vers minuit, j’ai bu deux flashs de whisky, j’ai allumé le moteur de ma voiture dans le garage, je me suis endormie au volant, vitres ouvertes, je voulais partir dans les gaz d’échappement, finalement je me suis réveillée avec un mal de crâne atroce en début d’après-midi : le moteur a dû vite caler, panne d’essence, j’étais dans le rouge depuis deux jours. Silence d’Évelyne. Elle pleure. Je me suis loupée, docteur, dommage. Elle rajoute : le psychiatre des urgences m’a demandé de signer l’hospitalisation de ma fille. Bérénice a hurlé, si tu m’internes maman je te tue ! J’ai refusé de signer. L’interne m’a répondu mais madame, son état nécessite des soins, votre fille délire, elle souffre de schizophrénie, elle a des antécédents psychiatriques du côté maternel, c’est sérieux, vous devez signer. J’ai signé, docteur. Bérénice a hurlé, ses cris m’ont déchiré, je suis rentrée en songeant aux antécédents psychiatriques du côté maternel, je me suis dit que ça venait de moi, que c’était ma faute, j’ai pas supporté, j’ai bu pour m’aider à me foutre en l’air. La question d’Évelyne surgit : la maladie de ma fille, sa schizophrénie, ça vient de moi, j’ai quelque chose à voir là-dedans n’est-ce pas ? parce que les antécédents psychiatriques du côté maternel, ma dépression, le psychiatre des urgences l’a bien dit, c’est de ma faute, non ? Je regarde Évelyne. Vingt ans de métier ne m’empêchent pas d’avoir le cœur qui bat à cent à l’heure et dans ma boîte crânienne à outils des lectures auxquelles me raccrocher en cas d’urgence, réarrangées à ma sauce, Freud et ses références à la chirurgie par exemple, le traitement psychanalytique pas sans affinités avec l’acte du chirurgien, ça m’aide ça. Une artère saigne ? On la clampe. Une hémorragie narcissique ? Pareil, on comprime, les causes attendront. Non Évelyne, vous n’êtes ni coupable ni responsable, ce n’est pas votre faute, la science est incapable de dire toute la vérité sur les causes d’une maladie, la schizophrénie ne se transmet pas de mère à fille, point. Le point est ici de suture : stopper l’hémorragie, la vidange de l’être, coûte que coûte. Le travail psychothérapique sur un corps exsangue, non. Ce travail attendra.


Évelyne quitte la scène. Je retourne m’assoir dans mon siège rouge. J’observe la mère de Camille. Je me dis que j’exagère : elle ne semble pas parvenue au point de déchirure où se trouvait Évelyne. À moins que le psychiatre barbu ait senti poindre la tension des tissus maternels. Peut-être a-t-il senti se rapprocher ce seuil au-delà duquel une mère part en lambeaux. Parce qu’il existe une clinique intime, non exportable, qui relève du soi du thérapeute, une clinique propre à sa constitution, qui part du corps, des organes, des affects, qui engage l’histoire de ce paquet de viscères qui a fait un jour profession d’écouter et dont on peut espérer qu’il se soit donné la chance d’être écouté et s’écouter lui-même sur un divan, une clinique des tripes et du sang qu’il faut apprendre à repérer, apprivoiser et dompter pour ne pas l’escamoter ni se laisser dévorer par elle, une clinique du sensible qui procède de l’intuition. Peut-être ce psychiatre sent-il cette mère aux limites de ce que peut supporter sa constitution. Peut-être oublie-t-il dans sa grande sensibilité la mise en garde de ce professeur de psychiatrie un jour où il pleurait le suicide d’une patiente : on ne fait pas de psychiatrie avec de bons sentiments. Le problème est qu’on n’en fait pas davantage sans. Ou peut-être le psychiatre barbu n’est-il rien de tout ça : peut-être jouit-il tout simplement d’exercer ce que de puissance promet le signifiant docteur sous lequel il reçoit la mère de Camille. Docteur signifie savant, celui qui sait, qui peut donc jouir du savoir consubstantiel à son titre, pour le pire (culpabiliser) ou le moins pire (déculpabiliser) et que toute l’affaire se résume aux questions qui accompagnent les signifiants docteur, médecin et psychiatre : comment soigner et écouter la souffrance de l’autre quand on est installé sous le signifiant médical psychiatre et qu’à cette place on s’encombre de l’inconscient – et qu’on s’efforce de ne pas en jouir ?

Troisième scénette. L’homme – qui n’est pas Écossais – essaie une jupe. Il éprouve les sensations de l’étoffe sur sa peau. Une voix off accompagne ses mouvements de balancier, jupe à la main. L’innocent transgresseur des conventions d’habillage est interrompu par une femme assise devant moi. Espèce de pervers ! L’homme accuse le coup. Moi aussi. C’est violent. J’ignore comment il va réagir. Plutôt que refuser l’étiquette, l’homme sourit : « si être pervers c’est ça, alors oui, je suis pervers ». Et bim ! Retournement du signifiant : l’homme purge le signifié infâmant du signifiant pervers pour aussitôt le remplir d’un nouveau signifié, positif celui-là : la fierté de son sourire – en 1985, Coluche avait fait de même avec le signifiant enfoiré. Coup d’état dans la langue donc. Insulte invaginée, offense retournée. Le barbu en jupe sourit – moi avec. Pervers pride.


Quatrième scénette. Extrait d’une conférence de Paul Preciado. Paul se tient devant un parterre de psychanalystes. Ou plutôt Paul Beatriz se tient devant un parterre de psychanalystes – Beatriz devenu.e Paul devenu.e Paul B. Preciado – PBP sera plus simple – qui dit je suis un monstre qui vous parle. PBP est un testo-junkie venu détruire à coups de marteaux la cathédrale psychanalytique bâtie sur les reliques de Saint Freud. Il y va, franchement, il frappe, il cogne sur la clé de voûte, la différence sexuelle. Si l’architecture patriarcale de l’édifice psychanalytique tient par cette idéologie héritée d’un imaginaire colonial, la psychanalyse ne pourra tenir qu’à la condition de se pencher sur son ADN ségrégationniste et se réinventer, à charge pour elle d’intégrer les nouvelles normes que PBP et les dysphoriques de son genre incarnent. Je suis une boussole qui vous parle.


Cinquième scénette. Le cabinet du psy. Sa patiente allongée. Lui derrière. Une interprétation scande la fin de la séance. L’analysante paie et s’en va. L’analyste quitte son cabinet, rejoint une manif, brandit une pancarte. Sa patiente l’aperçoit – et ce faisant rencontre dans le réel l’homme qu’il est. Retour au cabinet pour une nouvelle séance. Elle s’allonge. Ça ne marche plus. Machine en panne. La faute au télescopage de deux réalités : politique et cure ne devraient jamais se rencontrer au travers de la personne du thérapeute. C’est ce que je comprends. Souvenir aussitôt des questionnements de Florent Gabarron-Garcia[1] : sommes-nous coincés entre deux alternatives, « choisir entre l’illusion fantasmatique du politique ou bien l’Éthique du Sujet et sa vérité » ? Devons-nous renoncer à toute incarnation politique, à toute posture militante au prétexte que la structure du psychisme est censée primer sur toute réalité sociale ? La non miscibilité des buts politiques et psychanalytiques doit-elle être considérée comme une garantie essentielle dans la conduite de la cure ou qualifiée de psychanalysme ?


Lumière.


Pause de dix minutes.


Je sors de la salle. Il fait beau. Pas trop tôt. Trois semaines de gris et de pluie. Je sors mon portable, j’enlève le mode avion, comment vont les enfants ? Pas de messages. Tout va bien. Notification de France Info : JM Le Pen a été hospitalisé suite à un malaise cardiaque. Calendrier m’apprend qu’aujourd’hui, quinze avril, nous fêtons les Patern.e, avec ou sans e, les deux orthographes existent. Saint Paterne, c’est drôle, ça me fait rire. Je range mon portable, je rejoins Marie, Arnaud et Rachel. Déploration cathartique de nos conditions de travail, de la standardisation des pratiques de la psychiatrie publique, de la violence managériale à tous les étages.


Reprise de la conférence.


Fabrice Bourlez est assis au centre de la scène, casquette sur le crâne, costume et sneakers aux pieds – hybridation des genres vestimentaires. Il parle depuis une pensée dense, riche. M’intéresse le souffle de Fabrice, son amplitude, sa capacité à embrasser, à faire se rencontrer histoire, politique, sociologie et psychanalyse, à mettre au travail des univers hétérogènes, à déségréguer, décloisonner, inscrire pratique et théorie dans l’histoire politique des luttes. Fabrice on ne l’arrête pas, on ne l’arrête plus, quarante minutes d’une idée qui en appelle une autre qui en appelle une autre jusqu’à ce que l’idée lui vienne de se demander quelle heure il est. Sourire des organisateurs, de l’invité – désolé, j’ai trop parlé. Pas du tout. La salle est invitée à poser des questions. Quelqu’un n’est pas d’accord sur l’université comme lieu où ne se transmettrait pas la psychanalyse. Un autre au premier rang intervient de façon subtile pour repréciser la fonction paternelle, rappeler qu’en tant que fonction elle ne saurait être genrée puisqu’assumable indépendamment du sexe biologique de son porteur. Fabrice répond, reprend, reformule, ça discute, ça échange – tout ça est bien vivant.


La conférence terminée, comme je le soulignais en ouverture, j’échange avec joie quelques paroles au bar avec Christophe, Kristina, Jean-Yves et Fabrice Bourlez – dont Marie achète le livre. Nous repartons sous le soleil, direction Valenciennes. Je coupe France Info – l’agenda de l’exécutif et la réforme des retraites attendront. Je veux goûter peinard la fin de cette rencontre comme une cigarette fumée après l’amour.


C’est parce que Christophe me demande mon témoignage dix jours plus tard que je m’aperçois au moment de l’écrire qu’au volant de ma voiture, sur la route du retour, en communion avec Marie, échangeant nos impressions, j’oublie jusqu’à la refouler ma fameuse présence dégradée trois heures plus tôt. C’est grâce à cette rencontre que ce quinze avril, à dix-sept heures trente, ma présence pourrait être qualifiée d’upgradée selon les termes de la langue qui me bousille depuis des mois, celle de nos tutelles qui vend des professionnels certifiés, performants et concurrentiels – car il faut toujours l’être en cas d’appel à projet ; cette langue qui veut des soignants compétitifs, impliqués et réactifs ; une langue qui prétend administrer des êtres capables de s’adapter, de se réajuster, d’être en situation de maîtrise ; une langue qui se gargarise de former des experts capables de repérer les irritants, de transmettre leurs rex[2] et, surtout, d’être toujours prompts aux reportings.


Sur la route du retour vers Valenciennes, je baisse ma vitre, j’arrache d’un coup sec cette langue morte que les tutelles agitent sous mon crâne et je la montre à Marie avant de la balancer par la fenêtre. Ma langue à moi ne parle pas avec ces mots-là, elle ne dit pas upgradé, elle dit volontiers que d’un pattern austère elle vient de passer à un autre, pas terne. Ma langue est vivante, c’est la mienne, au volant elle s’amuse, elle se réjouit de sentir combien cette conférence a réarmé quelque chose, quelque chose qui a à voir avec son aptitude à jouer – comme la langue de ces comédiens qui improvisent en seconde partie de conférence. Leur langue à tous les deux accepte de bricoler un truc, sans filet et en direct, ce que d’ailleurs je ne cesse de faire à la rue où nous ne soignons pas les psychotiques – soigner est un verbe trop grand pour nous – mais où nous essayons plutôt des trucs, sans filet et en direct là aussi. Truc est un mot que j’affectionne : quatre lettres de résistance aux protocoles et autres homogénéisations des pratiques, quatre lettres qui prônent l’improvisation contre l’automatisme. Truc est la ceinture d’explosifs que j’active quand on me parle expertise, qualitédesoins ou qu’on m’objecte lepatientaucentreduprojet. Truc relève de la création, de l’inventivité, de notre capacité à rater, nous mettre en danger, à bricoler, ça-passe-ou-ça-casse. Cet après-midi du quinze j’ai assisté à un truc, un sacré truc, un montage inédit qui consiste à poser un Fabrice en casquette et sneakers au centre d’une scène avec des acteurs autour de lui, des voix off, des passeurs de questions, un truc osé qui aurait pu foirer mais qui a parfaitement fonctionné, qui m’a permis d’entendre la langue de Fabrice se lancer, raconter, hésiter, tâtonner, aller de l’avant, revenir en arrière, faire des pas de côté, le contraire de ce que nous infligent nos nouveaux maîtres, des techniciens qui nous figent et nous tuent à petit feu en nous voulant pleins d’un savoir expertal qu’il nous faudrait échanger entre nous dans les termes faibles d’une langue vide. Nous, besogneux travailleurs réfractaires, faisons notre miel de barboter dans les marécages d’une pratique artisanale de laquelle je ne voudrais pour rien au monde sortir. Avec Fabrice, je me suis revigoré à me demander qu’ouïr de la psychanalyse à l’heure de son dynamitage : je l’avoue, j’ai adoré grenouiller dans les eaux troubles du genre.


Maintenant que s’achève l’écriture de mon témoignage, je me souviens d’une chose : une fois garé devant la maison, après avoir retrouvé les enfants, je suis allé sur Wikipédia lire l’histoire de Saint-Paterne. Paterne de Vannes, dit Patern l’Ancien, premier évêque de son diocèse, est mort un quinze avril. Le pauvre Paterne, un des sept saints fondateurs de la Bretagne, fut forcé de fuir son évêché devant la malveillance dont il faisait l’objet. Arrivé en territoire Franc, il est mort seul, en ermite, dans la misère. La mort de Paterne a été suivie de calamités. On déplora famines et sécheresse. Jusqu’à ce que sur son corps rapatrié en terre bretonne on bâtisse une nouvelle église.


10 mai 2023


[1] Histoire populaire de la psychanalyse – La Fabrique éditions – pp10-11

[2] Retours d’expérience.



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2 comentarios


irene.tisserant
15 jun 2023

On y est. Quels souvenirs. Je m'y revois. Moment suspendu que cette après-midi, où la pensée individuelle trouve à s'épanouir grâce au collectif artistique et intellectuel. Merci David!

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arnaud barbier
arnaud barbier
12 jun 2023

Quel plaisir de te lire David ! La richesse associative de ton texte est puissante. Merci.

Arnaud.

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