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Le Collectif Lillois de Psychanalyse, un collectif queer ?

Photo du rédacteur:  Collectif Lillois de Psychanalyse Collectif Lillois de Psychanalyse

Le Collectif Lillois de Psychanalyse, un collectif queer ?

Ou

Pour prolonger le « Trans-événement » du 15 Avril 2023

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Épisode n°1



Si, depuis plusieurs années déjà, le débat entre les théoriciens du genre et les psychanalystes est vif, il a pris une tournure particulièrement virulente, pour ne pas dire violente, ces derniers mois avec les manifestations et les invectives qui ont émaillé la sortie du livre de Céline Masson et Caroline Eliacheff, « La fabrique de l’enfant transgenre » (Éditions de l’Observatoire, 2022). Prendre la parole dans ce contexte polarisé entre deux camps qui se regardent en chien de faïence, devient dès lors difficile dans la mesure où toute parole énoncée est automatiquement rangée d’un côté ou de l’autre du champ de bataille. Doit-on cependant abdiquer à penser autrement ?


Le « trans-événement » organisé le samedi 15 avril par le Collectif Lillois de Psychanalyse au théâtre de la ferme des hirondelles à Fretin se voulait une manière de sortir par le haut de ce conflit au bout du compte mortifère pour la psychanalyse. Afin de ne pas se laisser enfermer dans l’alternative — réaffirmation d’une psychanalyse immuable arc-boutée sur la défense d’un supposé ordre symbolique ou engagement militant des psychanalystes auprès des minorités de genre et de sexe au nom d’une autoproclamée révolution anthropologique — le Collectif a imaginé un dispositif dont le but se voulait à la fois pédagogique, critique et, qui sait, performatif. Il se composait de deux temps : un premier, théâtral, consistant à mettre en scène quelques principes gouvernant aux théories du genre, telles que la théorie de l’interpellation ou la stratégie de l’insulte assumée, ainsi que des « moments » caractéristiques de l’histoire des relations entre les théories du genre et la psychanalyse ; puis un deuxième, de débat, dont le cœur était l’exposé par Fabrice Bourlez de sa proposition de « Queer psychanalyse » (Éditions Hermann, 2018), suivi d’une discussion avec les membres du Collectif Lillois de Psychanalyse ainsi que le public. En débutant par la partie théâtrale le but du Collectif était, non seulement de rendre accessible quelques idées centrales de la théorie du genre et ainsi permettre un débat qui ne se limiterait pas à un débat entre spécialistes, mais aussi de s’appuyer sur la puissance du théâtre pour mettre au travail in situ quelques concepts sur lesquels se fondent cette théorie et sa critique de la psychanalyse, et par là-même ouvrir à une autre discussion que polémique. Y est-il parvenu ?


Scène n°1 : La scène de l’interpellation



Scène introduite par "Calor" d'Arca :



Quelques informations préalables[1]


Voici une scène qui est au cœur de la pensée du genre. C’est à partir de cette scène que les théoriciens du genre, Judith Butler en particulier, déconstruisent les mécanismes d’assignation dont l’assignation au genre. Or, cette scène est une scène d’emprunt. Elle a d’abord été décrite dans un tout autre contexte, celui des débats qui agitèrent la gauche dans les années post-68, et à propos d’une toute autre question, celle de l’idéologie. L’un des premiers à l’avoir mentionné est un philosophe marxiste, Louis Althusser, dans un texte de 1970 intitulé « Idéologie et appareils idéologiques d’État » (Positions (1964-1975), Paris, Éditions sociales). Elle est plus connue sous le nom de « scène de l’interpellation ».

Dans cette scène il y a deux personnages. Nous avons, d’un côté, une figure d’autorité, un flic qui incarne la loi et le pouvoir, et, de l’autre, un individu lambda, une passante, qui est n’importe qui ou tout le monde ; quant au lieu où ils se croisent, il est le plus commun qui soit puisqu’il s’agit de la rue. Par commun, nous voulons dire certes banal, quotidien mais aussi et surtout, appartenant à tout citoyen. La rue est l’un des espaces d’expression de la citoyenneté, en ce sens elle est éminemment politique.

Le mécanisme au centre de la pensée du genre est celui de l’assignation d’un corps à un sexe et à un genre à travers la parole prononcée par une figure d’autorité. Ici, il s’incarne dans un « vous » lancé par un policier à une passante qui, une fois nommée, se reconnaît dans ce « vous » si bien qu’elle se retourne pour faire face au policier. S’appuyant sur Foucault, Butler avance que le sujet ne préexiste pas à la nomination mais qu’il est fabriqué par le pouvoir. Le sujet qui en surgit est le sujet assujetti. Or, une fois nommé et donc produit, le sujet assujetti devient sujet acteur, sujet potentiellement acteur de sa vie. C’est grâce à cette torsion interne au pouvoir que tout un chacun peut, à certaines conditions toutefois, déjouer les effets normatifs et coercitifs du pouvoir.



Questions n°1


Les théories du genre se présentent comme une entreprise d’émancipation — radicale et totale — puisqu’elles en appellent à la fois à s’émanciper de la donne socio-culturelle du genre, de la donne naturelle du sexe et de la donne symbolique de l’Autre.


Si elles viennent à croiser l’entreprise psychanalytique c’est dans la mesure où, comme la psychanalyse, elles tentent de substituer à la fatalité du destin les possibles d’un dessein.


En pratique, les pensées LGBTQIA+ aboutissent à l’affirmation du « trans », du queer et de l’hybridité rendant incertaine l’identité de genre, mais aussi à une transformation plus aiguë encore, hormonale et corporelle, rendue possible grâce aux progrès scientifiques qui permettent à chacun de changer de sexe. Cette métamorphose, car il s’agit d’une métamorphose, se parachève avec le changement de prénom qui, avant d’être officialisé par la loi, si tant est que celle-ci le permette, est exigé par le sujet demandeur à son entourage familial, amical, scolaire voire médical quand il se trouve en soin ; et c’est à travers le prisme de cette question-là, celle du prénom et de la nomination, que nous est parfois posée à nous, « psy », la question du trouble dans le genre. Or, que fait le sujet en changeant de prénom ? Il cherche à échapper aux signifiants de l’Autre en se présentant selon ceux qu’il aura choisis, aux signifiants de l’Autre certes mais aussi, et peut-être surtout, au désir parental dont il veut s’affranchir, plus largement au désir de l’Autre (dans lequel se rangent les parents, la famille au sens large mais aussi une société) qui se cristallise dans le mystère d’un prénom.


Ceci ne va pas, toutefois, sans poser question.


La décision de changer de prénom relève de l’auto-nomination ou nomination de soi. Or, qui nomme dans la nomination de soi ? Pour nommer quoi ? Et au nom de quoi ? Pour qu’une parole ait un effet de nomination, il faut qu’elle soit performative ; et pour qu’elle soit performative, il faut qu’elle soit énoncée par une instance d’autorité dans un contexte conventionnel. La scène de l’interpellation le met en exergue. Quelle est donc l’instance d’autorité qui permet l’auto-nomination ? A priori, celui qui s’auto-nomme le fait au nom de la souveraineté de son désir individuel tout puissant. En ce sens, suivant en cela l’injonction lacanienne, il ne cède pas sur son désir. Mais, comme le dit ce même Lacan, y a-t-il un désir qui ne soit pas le désir de l’Autre ? En s’auto-nommant le risque n’est-il pas d’être encore plus puissamment aliéné au désir de l’Autre ?


Quelques éléments pour une réponse possible


Sans préjuger de celle que pourrait apporter un théoricien du genre ou un « queer psychanalyste », nous pouvons amorcer un début de réponse. On notera, tout d’abord, que le prénom — qu’il s’agit de distinguer du Nom patronymique qui relève du Nom-du-père et non du Désir parental — que proposent les personnes souhaitant en changer consiste le plus souvent en une féminisation ou une masculinisation du prénom d’origine. Par conséquent, il est excessif de dire qu’ils cherchent à effacer le Désir que leur prénom transporte puisqu’ils en conservent les traits premiers, ceux qui font signature, et il est plus juste de dire qu’ils se contentent, le plus souvent, d’en modifier le genre en l’ajustant à celui qu’ils revendiquent désormais. À ce titre, ils restent « aliénés » au Désir de l’Autre dont ils éprouvent l’énigme, comme tout un chacun, à travers la question du Che vuoi ?.

À cette première précision, nous pouvons ajouter cette deuxième. Si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que l’auto-nomination se déroule en deux temps. En effet, quand une personne décide de changer de prénom, elle le fait, certes, en s’autorisant de son seul désir souverain, mais aussi — reprenant en cela le célèbre adage de Lacan prononcé dans un autre contexte, celui du désir de l’Analyste — en s’autorisant de quelques autres. Une fois décrété son prénom, il s’agit pour le sujet de le faire reconnaître par ces autres. Or, de quels autres parle-t-on ici ? On parle des semblables ou des pairs réunis en groupe, en collectif ou en communauté. Si cette revendication bouleverse la donne au point qu’elle puisse déranger, quand elle ne fait pas scandale, elle ne consiste pas pour autant à une désaffiliation de l’Autre dans la mesure où il s’agit de substituer à l’Institution la communauté, au Père le groupe de pairs. Bien trop souvent, les psychanalystes, en tout cas certains, les plus bruyants, font une lecture rapide de ce phénomène, y lisant une tentation psychotisante consistant à se passer du Père symbolique au profit du semblable imaginaire. Telle serait la situation si la reconnaissance était requise auprès du seul semblable et non, comme il l’est ici, du groupe de semblables. Ce qui fait tiers c’est le groupe, le collectif, la communauté, cette abstraction que constitue le « commun ».


Pour Pierre Dardot et Christian Laval, le commun est le « principe politique d’une coobligation pour tous ceux qui sont engagés dans une même activité » (Commun – Essai sur la révolution au XXIème siècle, Paris, La découverte/Poche, 2014, p.23). Ni l’appartenance identitaire ni le « contrat social » ne fondent le commun. Rejetant toute conception étatique, théologique, naturaliste ou essentialiste, ils le pensent praxéologiquement comme la participation à une même tâche : « c’est seulement l’activité pratique des hommes qui peut rendre des choses communes ». Or, cette action commune requiert des règles. Se refusant à les déléguer à une instance extérieure, les participants délibèrent et co-instituent les règles de droit qui gouverne leur activité commune en la produisant. Le commun relève en dernière instance d’une auto-institution par le groupe des règles de droit qui organisent cette dite « activité » et, plus largement, la vie du groupe. C’est ainsi que le commun se présente comme un principe éminemment politique basé sur une coobligation réciproque, ajoutons-nous, sans subordination car il a davantage partie liée avec la mutualité qu’avec l’exercice d’un pouvoir. Résulte de cette opération la production d’un « nouveau sujet collectif ».


Lorsque des personnes demandent à leur communauté de reconnaître leur changement de prénom, ils en appellent à ce commun en tant qu’il est auto-institution des règles par un groupe qu’une action commune rassemble, action pouvant prendre la forme d’un combat, d’une revendication ou d’une action militante. Ainsi, l’Autre n’est plus dans la transcendance d’un Père installé dans le ciel mais dans cette instance immanente, au plus près du sol, que constitue le collectif qui, tout en étant singulier et contingent puisqu’il s’agit d’un rassemblement toujours précaire de singularités humaines, introduit du commun, soit un principe, une règle, une loi.



Le Collectif Lillois de Psychanalyse, un collectif Queer ? Réponse n°1


Le Collectif Lillois de Psychanalyse est né du constat qu’il était impossible de changer, depuis l’intérieur, les associations de psychanalystes. Leurs vies étant rythmées par la disparition progressive des « maîtres » dont elles font le décompte morbide, elles s’enferrent dans un « tourner en rond » baignant dans une lumière crépusculaire. Le psittacisme, la ritualisation institutionnelle, le ressassement théorique qui aboutissent à un évidement de la parole en sont quelques-uns des signes cliniques. Il serait trompeur de croire qu’un ripolinage interne suffirait. Aucun changement ne parviendra à les sortir du marasme dans lequel elles s’enlisent dans la mesure où c’est leur forme même qui pose problème. Le Collectif Lillois de Psychanalyse résulte de la prise en compte de cette donnée dont il cherche à tirer toutes les conséquences en proposant une réunion, non des maîtres, mais des pairs à partir d’un acte commun. En effet, on devient membre du Collectif par le biais d’une contribution qui, si elle est initiée par le désir d’un seul, devient, dès lors qu’elle est adressée au Collectif, le projet commun du Collectif. On entre ainsi dans le Collectif, non à partir d’une demande d’adhésion et de son paiement corrélatif, mais à travers une tâche portée par un désir singulier qui, dès lors qu’elle est inscrite sous l’égide du Collectif, devient tâche commune. Reste alors à déterminer les règles selon laquelle réaliser cette action commune qui, en engageant chacun, produit un nouveau sujet collectif. Ces règles, qui sont plutôt des normes, sont déterminées en fonction de l’objet visé par l’action, au plus près duquel il s’agit d’être, conférant dès lors un certain style à l’ensemble caractéristique d’un « sujet collectif ».


En réponse à l’inertie mortifère des institutions, et en premier lieu l’institution psychanalytique, Félix Guattari distingue « le groupe-assujetti » du « groupe-sujet ». Si le premier hérite sa loi de l’extérieur, le second prétend « s’assumer à partir d’une loi interne ». Tandis que le « groupe-assujetti », dit aussi « groupe-objet », reçoit ses déterminations des autres groupes, le « groupe-sujet » se propose « de ressaisir sa loi interne, son projet, son action sur d’autres ». Cette opposition trouve sa traduction dans la langue. Alors que le « groupe-assujetti » est incapable d’énonciation nouvelle pris qu’il est dans le « code », le condamnant alors à la répétition d’énoncés tout faits, le « groupe-sujet » parvient à déranger l’ordre du code et donc à produire une parole nouvelle. Or, ceci en passe par un rapport à l’inconscient (Psychanalyse et transversalité. Essai d’analyse institutionnelle, Paris, Maspéro, 1972). Guattari (avec Deleuze) en tirera le concept d’« agencements collectifs d’énonciation » promis à un riche destin ainsi que celui de « transversalité ». Que le Collectif Lillois de Psychanalyse soit un agencement collectif d’énonciation usant de la transversalité entre art et psychanalyse afin de produire du nouveau, voilà ce dont le « trans-événement » du 15 avril fut une tentative concrète…


À suivre…


[1] Cette partie est la reprise légèrement modifiée du commentaire qui fut prononcé le 15 avril dans la suite immédiate de la scène.


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