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Rapport (a)moral

Photo du rédacteur:  Collectif Lillois de Psychanalyse Collectif Lillois de Psychanalyse

Rapport (a)moral prononcé par Christophe Scudéri le 10 juin 2023 au cours de l’Assemblée Générale du Collectif Lillois de Psychanalyse.


Chers Membres, Chers Adhérents, Chers Participants, Chers Sympathisants,


Il est l’heure pour nous de tirer le bilan de cette année 2022-2023. Il faut l’avouer, il y a quelque chose d’incongru, et même de totalement contre-nature, dans cette idée d’un bilan appliqué au Collectif Lillois de Psychanalyse. Faisant feu de tout bois, et ne s’interdisant rien, le Collectif peine à être pensé selon les termes comptables des gains et des déficits, encore plus quand ce bilan est qualifié de « moral », comme si cette chose-là pouvait juger de la morale quand c’est plutôt d’amoralité dont elle s’est faite l’experte. Avouons-le il y a quelque chose de faisandé dans cette formule dont le fumet aigrelet suscite un désir irrépressible d’ouvrir les fenêtres en grand.

Mais la loi étant la loi, il faut bien nous ranger derrière elle et donc lui donner quelques gages. Débutons donc ou plutôt non, pas encore, car vous pourriez, avec malice, me faire remarquer qu’il ne s’agit pas de bilan mais plutôt de rapport, que mon usage des termes est pour le moins approximatif, qu’il importe que je sois précis et qu’en substituant au rapport le bilan je transforme l’éros en éco. Oui-Da ! une fois mon souffle repris suite à ce coup de savate assené droit dans le plexus. Oui vous avez raison mais, le torse à nouveau gonflé, je peux vous rétorquer ceci : fondamentalement, ça ne change rien à notre situation. Que ce soit le bilan ou le rapport nous restons assignés à une loi qui nous enjoint de rendre publiquement des comptes afin que puisse être vérifiée la bonne moralité de notre association. Je dirais même que, dans l’ordre de l’ordre, c’est pire ! C’est comme si une voix autoritaire hurlait dans notre dos « Au rapport ! », avec toute l’ambiguïté de ce rapport dans lequel résonne, tel un rire graveleux, la charge sexuelle qu’il contient. Le Clip serait-il donc cette putain convoquée « au rapport » par son mac étatique ? Heureusement, un célèbre psychanalyste a rappelé à point nommé que non, vraiment non, il n’y a pas de rapport sexuel, qu’il faut se rendre à l’évidence il n’y a que ratage dans ces histoires-là et faut-il que nos scénarios soient bien verrouillés, pour ne pas dire vérolés, pour que notre pauvre coït crée l’illusion. Dont acte, c’est le cas de le dire. S’il n’y a de rapport que raté alors tout ceci n’est qu’un jeu auquel il faut s’adonner de bonne grâce afin d’obtenir l’agrément au terme d’un gré à gré qui n’a de grès que la texture car, définitivement, c’est plus du caillou dans la chaussure dont il s’agit ici.

Levons-donc le caillou qui nous fait boiter et prêtons-nous au jeu du rapport… bien que ce soit d’abord le bilan qu’il s’agit de tirer… Et, comme de bien entendu après une telle entame, commençons par parler chiffre.


Côté adhésion, outre les trois membres fondateurs, nous avons enregistré cette année un membre, onze adhérents et sept participants, ce qui témoigne d’une très légère baisse par rapport à l’année dernière puisque si nous avions alors comptabilisé seulement onze adhérents, à l’inverse nous étions montés jusqu’au chiffre stratosphérique de neuf participants, soit sur un an le recul d’une personne. Peut-être s’est-elle perdue dans le tunnel méandrique qui mène du participant à l’adhérent et va-t-elle ressurgir un jour la lampe au front et un piolet à la main ? Si nous étions une entreprise cotée en bourse on dirait que la tendance n’est pas bonne, qu’une entreprise qui ne recrute pas de nouveaux clients et qui ne gagne pas de parts de marché est une entreprise vouée à dépérir puis à périr. Mais le choix ayant été fait de la qualité plutôt que de la quantité, la bourse est le cadet de nos soucis, même si notre fonds de roulement nécessaire à la bonne marche du Co(ui)llectif dépend de ces entrées de co(ï)tisations. Le choix que nous avons fait, et dont les statuts portent mention, est en effet qu’on n’entre pas au Collectif Lillois de Psychanalyse comme dans un moulin, en achetant sa place comme on achète sa place au ciné du coin. On y entre en étant actif, que ce soit à travers une participation au séminaire ou, plus exceptionnel, à travers une contribution soumise à l’agalma. Dès lors, les cotisants sont simultanément des participants engagés d’une manière ou d’une autre dans un transfert de travail au Collectif ; et leur paiement est double : ils paient par leur travail dont ils enrichissent le Collectif et par leur obole, modeste au demeurant, qui est plus l’expression de l’adhésion à un projet que l’achat d’un service. Par conséquent, que nous ayons à peu près le même nombre de cotisants aujourd’hui comme hier démontre, à rebours de toute vision économique, que le Collectif tient toutes ses promesses puisque ses adhérents de la première heure n’ont pas changé de crèmerie, persistant dans leur volonté de rester à sa table bien que ça leur coûte doublement.


Mais démarrer notre rapport par le nombre de cotisants, c’est déjà trop sacrifier à la logique économique voulant qu’une association mesure sa vitalité à son recrutement de nouveaux adhérents et sa puissance à son capital financier. Si nous souhaitons mesurer la dynamique du Collectif, nous devons plutôt nous pencher sur sa capacité à entraîner derrière lui, c’est-à-dire à susciter le désir. Considérons donc les diverses activités qui composent sa vie et qui, ayant le vent en poupe, gonflent les voiles de son embarcation.

Elles sont au nombre de trois : les séminaires, les événements et le blog. Les séminaires, tout d’abord. Depuis la création du Collectif Lillois de Psychanalyse nous proposons deux séminaires assez dissemblables même s’ils sont noués l’un à l’autre. Ils sont tous les deux des ateliers d’expérimentation dans lesquels on tente, on retravaille, on innove. Celui sur « Cure analytique, Psychothérapie analytique, Psychothérapie d’inspiration analytique » prend à bras le corps les questions technico-pratiques que pose l’exercice de la psychanalyse et ses assimilées, afin d’en faire la théorie, se risquant si nécessaire à inventer des notions et à reformuler des concepts. Son ancrage au plus proche du terrain, mais pour mieux le penser, est sans doute ce qui séduit les quelques 20 participants, dont 6 psychiatres, fidèles et assidus. Cette année aura encore accentué cet enracinement dans la glaise praxéologique avec le retour en force de la clinique comme s’il nous avait semblé utile, au point où nous en sommes de notre parcours, de montrer in concreto comment nous nous débrouillons avec nos patients et analysants. Est-ce que cela a eu valeur d’enseignement ? Quant au second, qui porte sur « l’Acte analytique, l’Action politique », s’il est a priori plus ouvert sur le monde puisqu’il part de la cure analytique pour aller papillonner du côté des questions d’efficacité politique, il est en réalité une zone quasi-secrète où son animateur se laisse aller au confidentiel, le but étant de penser moins à partir du colloque singulier de la rencontre clinique qu’à partir du cheminement de l’analysant. Force est de constater que ce trait, celui de la plongée dans l’abîme de l’intime, s’est encore accru cette année, comme s’il avait semblé utile, au point où en est l’animateur dans son parcours, de montrer in concreto comment il se débrouille avec les grands défis de la vie. Le fait que ce séminaire trouve son moteur dans la confidence explique sans doute pour partie que son assemblée soit, depuis le début, confidentielle.

Si je reprends l’ensemble : alors que le premier séminaire s’adresse à tous pour aller de plus en plus vers l’intime de la rencontre, le second s’implante sur les rives de l’individuel pour aller titiller les grandes questions du temps. Au-delà de leurs contenus, l’assiduité de leurs participants respectifs démontre combien ils sont parvenus à fidéliser un public et ce, grâce à une méthode : en les tenant en haleine. Faut-il toutefois regretter que le Collectif n’ait que deux séminaires à proposer ?


Il y a les séminaires mais aussi les événements. Si on regarde le tableau avec des lunettes quantitatives, oui ça insiste, on peut affirmer qu’ils ont été peu nombreux, deux en tout et pour tout, ce qui est moins que les quatre de la saison précédente. Nous constatons donc avec effroi un effondrement de 50 % de la branche « événement ». Faut-il donc réduire la voilure en taillant dans les projets à venir comme le voudrait la loi entrepreneuriale ? Ce serait faire fi de l’exceptionnalité de ces événements qui, s’ils ont requis un gros investissement, ont été extrêmement enrichissants. Pour rappel, il y a eu en novembre, premier événement, notre rencontre annuelle dans laquelle nous avons fait une proposition originale : penser l’acte qu’est le Collectif Lillois de Psychanalyse en l’inscrivant dans la contemporanéité de notre monde ; puis en avril, deuxième événement, un théâtre-débat au cours duquel nous nous sommes saisis de cette question contemporaine qu’est la théorie du genre dans son rapport à la psychanalyse, pour essayer de la penser différemment, je dirais, selon le style du Collectif. Evénements qui, en-deçà de leurs thèmes, ont demandé à ses organisateurs un intense et épuisant travail de préparation, prenant quelques semaines pour le premier, plusieurs mois pour le second, si bien que l’investissement que ces événements ont requis était sans commune mesure avec, par exemple, les deux ciné-débats organisés l’année précédente dans l’enceinte glacée du Kino et dont les travaux préparatoires étaient moindres. Pour le dire clairement, les deux événements proposés cette année n’ont rien à voir en ampleur, en originalité, en enjeux avec ceux assurés l’année dernière — à l’exception notable du théâtre-débat sur « 4.48 Psychose » de Sarah Kane. A ce titre, loin d’indiquer un quelconque effondrement, ils marquent au contraire une montée en charge en termes d’ambition et de risque pris, mais aussi de temps d’organisation. Et le succès a été au rendez-vous ! Le « trans-événement » a affiché rapidement complet tandis que notre rencontre annuelle a attiré un public conséquent, d’autant plus conséquent qu’il est venu nous écouter sur la base de notre seul nom puisqu’il ne savait rien des sujets que nous allions aborder. Comme quoi l’audace, l’inventivité, la surprise paient toujours !


Succès qui se sont prolongés et même amplifiés avec le blog.

Après les séminaires et les événements, le troisième larron de notre trio, le blog.

D’abord et encore les chiffres. Décidément, il n’est pas si simple de se garder de l’attrait diabolique du chiffre. 6 posts ont été publiés, à comparer aux 8 de la première année et aux 7 de l’année dernière. Vous pourriez, en bon comptable obnubilé par les chiffres d’affairage, dénoncer cette évolution en pente descendante dont le sens indiquerait un essoufflement en cours. Mais là aussi, encore et toujours, les chiffres sont trompeurs. Si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que la diversité des formats et des contenus a été plus grande cette année. Alors que la majorité des posts des années précédentes était du recyclage de conférences sorties du tiroir pour l’occasion, cette année, à l’exception d’une conférence remarquable sur les « tro(u)blions de l’esprit », seuls des posts originaux ont été mis sur le site. Voyez plutôt : un après-coup sur l’œuvre « Manque » de Sarah Kane, la transcription de notre discours tenu lors de la rencontre annuelle, une vidéo sur cette même rencontre et une série en cours qui alterne textes de réflexions à partir des scènes théâtrales jouées le 15 avril et témoignages de spectateurs. Outre leur plus grande diversité, ces posts ont aussi été davantage lus. Est particulièrement significatif le nombre de vues, plus de 200 à ce jour, d’un texte qui n’avait rien d’affriolant a priori puisqu’à la différence de celui sur la série « En thérapie » dont tout le monde a entendu parler, il traite d’un sujet tout ce qu’il y a plus autocentré et donc potentiellement peu porteur puisqu’il s’agit du Collectif Lillois de Psychanalyse parlant du Collectif Lillois de Psychanalyse. Eh bien, en dépit de ce narcissisme affiché, qui n’avait toutefois de narcissique que le nom, les lecteurs ont été au rendez-vous et se sont rués tels des morts de faim sur ce post, n'étant même pas rebutés, autre handicap de départ, par les 34 minutes de lecture annoncée, record à battre !


En résumé, au terme de ce décompte qui a tout du recensement, lorsqu’on rassemble l’ensemble des données recueillies sur le trio « séminaire événement blog », on observe, d’une part, une fidélisation du public qui, d’année en année, se réinscrit à nos activités, d’autre part, la naissance d’une signature qui, à elle seule, suscite le désir d’aller voir ce qui se passe, se dit, se pense et s’écrit dans et par le Collectif.

Aurions-nous, nous direz-vous, un début d’explication à cet état de fait ? Car nous avons beau aligner les chiffres et les chiffrages, nous n’en savons pas plus sur les raisons. Or, quelles sont-elles ? Si nous endossions la cape de l’entrepreneur, nous avancerions que le public est séduit par notre offre innovante qui n’a pas son pareil sur le marché des associations « psy », mais comme cela ne suffirait pas pour assouvir l’appétit vorace de nos actionnaires, nous enchaînerions par une petite présentation « Powerpointée ». La voici :

« Notre action : créer des espaces d’expérimentation. Notre méthode : s’interdire aucun moyen. Notre but : remettre sur l’établi la psychanalyse, sa théorie, sa méthode, sa clinique, sa politique. Notre business plan : première étape — se saisir des interrogations et des problèmes que pose l’ordinaire pratico-clinique de la psychanalyse (les séminaires) ; deuxième étape — se connecter au Dehors artistique afin d’y faire jouer les grands thèmes théorico-politiques qui agitent la psychanalyse (les événements). Résultat projeté : répondre à la demande d’un public en attente d’espaces de ce type centrés sur la pratique et ouverts à la dispute, au plus près du Réel praxéologique de la psychanalyse et d’une approche différente de son Réel expérientiel. Conclusion : Qu’émerge de toute cette activité un style qui fait marque dont le site est l’expression en même temps que la validation, prouve que le Collectif Lillois de Psychanalyse touche juste. »


Chers membres, chers adhérents, chers participants, chers sympathisants, et tutti quanti, vous avez entre les mains le bilan moral de notre association et vous êtes désormais en capacité de juger par vous-même de sa bonne ou mauvaise marche. Cependant, ce rapport ne serait pas autre chose qu’un bilan si mon discours n’incluait dans son cours les perspectives d’avenir. Quels sont donc les projets envisagés pour l’année 2023-2024 ? Bien sûr, il y a la poursuite des séminaires existants ainsi que la publication à un rythme que nous souhaitons soutenu de billets originaux sur le blog ; il y a donc les séminaires et le blog et aussi, à côté de ces activités récurrentes qui composent le quotidien du Collectif, les événements. Deux sont déjà actés et en cours de production : la rencontre annuelle de novembre qui s’installe dans l’agenda comme « LE » rendez-vous où le « Collectif parle au collectif du Collectif » ; et une expo-visite-conférence-débat que sais-je encore sur la photographe Vivian Maier et son œuvre qui devrait se tenir dans le premier trimestre 2024. Après le cinéma et le théâtre, nous allons ainsi essayer, à l’initiative de Camille de Billy qui est à l’origine de ce dernier projet, de nous frotter à un art tout autre qui est celui de la photographie et de l’exposition muséale. A côté de ces deux événements déjà bien avancés, nous avons par ailleurs l’intention de profiter de l’année à venir pour réfléchir à deux nouveaux projets qui n’en sont encore qu’au stade larvaire, à savoir l’invitation d’un écrivain dont le premier pressenti est Jean Echenoz et l’enregistrement de podcasts sur la psychanalyse.


Comme vous le voyez à la lecture de ce rapport, le Collectif Lillois de Psychanalyse est en bonne santé. Suivant sans faiblir la ligne qu’il s’est fixé, il poursuit son entreprise de mise en désordre tous azimuts dont le but est de sortir la psychanalyse de sa léthargie et de relancer sa puissance à métaphoriser le Réel. Le fait qu’un public fidèle le suive, mais aussi que de nouvelles personnes se joignent à lui, prouve qu’il parvient à réanimer la flamme et à réalimenter le feu de la psychanalyse. A suivre…

3 Comments


arnaud barbier
arnaud barbier
Jun 12, 2023

Un texte de grande qualité qui illustre sur le fond comme sur la forme de la richesse de l’année passée au sein de ce dispositif de partage que constitue cette très belle association ! Bravo !

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Unknown member
Jun 12, 2023

Très joli texte

Lise

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Unknown member
Jun 12, 2023

Très joli texte

Lise

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