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Photo du rédacteur Collectif Lillois de Psychanalyse

Combat, Liberté, Psychanalyse

Rapport moral prononcé lors de l'Assemblée Générale du Collectif Lillois de Psychanalyse le 29 juin 2024 à Lille. Celui-ci est ponctué par des chansons qui font partie intégrante du propos.


Par Christophe Scudéri.



Serge Gainsbourg, Aux armes et cætera (1979)


Chers Membres, Chers Adhérents, Chers Participants, Chers Sympathisants… et Chers Citoyens,


Quand nous avons choisi ce 29 juin pour la tenue de notre Assemblée Générale, nous étions loin d’imaginer qu’elle aurait lieu alors que l’extrême droite est en passe d’arriver au pouvoir. Rien n’est encore fait, puisque le vote reste à venir, et après tout le pire n’est jamais sûr, mais que, pour la première fois dans l’histoire de la Vème République, cette idée nous paraisse si peu farfelue qu’elle en devienne crédible, en dit beaucoup sur l’état dégradé, et dégradant, de ce pays. Désormais, il existe une frange considérable de la population qui, sans aucun scrupule, est prête à mettre son destin entre les mains d’un parti outrageusement nationaliste dont la nature autoritaire et l’idéologie ethnocentrique, manière polie de dire qu’il est raciste et xénophobe, sont non seulement connues mais affirmées à voix haute. Si elle a toujours existé, cette frange se réduisait jusqu’à peu à quelques poches identitaires circonscrites dans des bastions du Sud de la France avec ses nostalgiques moisis de l’Algérie française. Or, des personnes étrangères à ce passé mais séduites par la diatribe anti-immigration ayant peu à peu rejoint ses rangs, la donne a changé. Dorénavant, les électeurs de l’extrême droite ne se recrutent plus seulement dans des groupuscules idéologisés mais au sein de notre voisinage. Si le votant-type du Rassemblement National était hier le crâne rasé avec croix gammées tatouées sur le cou, il est aujourd’hui mon cousin, mon boucher, mon copain, mon collègue mais aussi, pourquoi pas, mon patient, mon analysant et qui sait, mon analyste…  


Léo Ferré, Ils ont voté (1980)


L’heure est grave et, avant même de connaître le sort qui nous sera réservé en cas de victoire de la peste brune, se pose déjà à nous une question lourde de sang et de larmes : quelle attitude adopterons-nous, nous psychanalystes, si, demain, l’extrême droite venait à gouverner ce pays ? Quand le Collectif Lillois de Psychanalyse a été créé, il a d’emblée été pensé comme politique, au sens premier d’un acte dont l’ambition est de bouleverser l’ordonnancement interne de la psychanalyse. D’ailleurs, les notables de la psychanalyse ne s’y sont pas trompés puisqu’ils ont réagi violemment à l’apparition du Collectif, allant jusqu’à parler à son propos, et à notre propos, de trahison et de traître — comme quoi des années d’analyse n’empêchent pas les jugements à l’emporte-pièce. Mais si, avec l’enfantement de ce Collectif, nous avions en tête de donner un coup de pied dans la fourmilière afin de pousser les psychanalystes à changer leur manière de faire, comme le démontre le leitmotiv qui nous a constamment guidé dans son élaboration : « entrer dans le collectif par une contribution et non par une cotisation » (voilà un beau slogan !), nous ne nous étions jamais interrogés sur le message public qu’il portait par-devers lui dès l’instant où il rayonnait dans la cité, en tout cas au-delà de sa promotion évidente de la psychanalyse. Que les circonstances nous obligent à considérer sérieusement le problème, nous pousse à prendre à bras le corps l’affaire. Quelle est donc la position du Collectif au temps de l’extrême droitisation ?


Philippe Katerine, 20.04.2005 (2019)


Pour commencer, notons qu’il n’est pas si aisé de répondre à la question du fait qu’elle charrie dans son sillage un dilemme qui n’a cessé d’écarteler la communauté analytique et que l’on pourrait résumer par l’alternative suivante : neutralité ou engagement ? Quand on écoute d’une oreille naïve le petit monde merveilleux des psychanalystes, on assiste, éberlué, à une foire d’empoigne où c’est à celui qui criera le plus fort. Si, pas dégoûté pour autant, vous poussez la curiosité jusqu’à examiner les arguments échangés, vous vous apercevrez que les crieurs se partagent entre deux factions rivales : à notre droite, les partisans de la « neutralité » proclament que « OUI il est essentiel que les psychanalystes accueillent tout le monde sur leurs divans, même les fachos », ce qui nécessite pour qu’une telle générosité soit possible, qu’ils soient politiquement neutres et, par conséquent, qu’ils ne s’engagent pas sur l’agora publique. Le problème est qu’en ignorant le contexte socio-historique dans lequel ils exercent, ils courent le risque, et les exemples sont légion, que la psychanalyse participe d’un système autoritaire, si ce n’est dictatorial, en mettant sur le dos de l’individu toutes les causes possibles et imaginables, notamment socio-étatiques, de son mal-être, collaborant à ce qu’il accepte l’inacceptable. À l’inverse, à notre gauche, les tenants de « l’engagement militant » crient à hue et à dia que « OUI il est urgent que les psychanalystes s’engagent sur la scène publique afin de défendre la liberté du désir car la victoire du sujet est à ce prix », ce qui nécessite de prendre politiquement position sur les thèmes qui déchirent notre société. Le problème est qu’en affichant publiquement leurs préférences, ils courent le risque de s’aliéner une part non négligeable de concitoyens qui, en réaction, fuiront le divan, considérant que la psychanalyse n’est pas faite pour eux. Alors, neutralité ou engagement ? 


Les Rois de la Suède, Socialisme (2010)


Contrairement à ce que j’ai énoncé d’emblée, pour tout dire un peu à la va vite, il est faux de dire que le Collectif Lillois de Psychanalyse n’a jamais pris position. Il se trouve que nous avons déjà été confrontés à ce dilemme (neutralité ou engagement ?) avec la tenue en 2023 de notre « trans-événement ». Je le rappelle brièvement. Nous nous étions affrontés à Fabrice Bourlez sur l’obligation qu’il défendait que les psychanalystes fassent leur coming-out, sans quoi selon lui la psychanalyse reconduirait à tout jamais l’homophobie qui l’infiltrerait depuis Freud. Nous avions opposé à cette injonction un geste atypique, sans doute rendu inaudible de par cette atypie, celui de repenser la pratique analytique depuis la victoire déjà réalisée de la pensée du genre, ce qui est une façon, à la fois, de prendre position par l’entérinement publique de cette pensée comme la seule envisageable et, à la fois, de se faire le réceptacle de toutes les paroles analysantes puisque nous n’étions le porte-voix d’aucun camp. Par ce geste, nous prenions la parole ni en militant d’une cause ni en défenseur de l’orthodoxie mais en tant que membre d’un Collectif de psychanalyse.


Reste qu’entre-temps le Réel a parlé, ou est en train de le faire, en nous jetant dans la rude cuve existentielle, si bien que notre réponse de 2023 est dorénavant caduque. Le problème n’est plus de savoir quel type de psychanalyse nous voudrions (orthodoxe ou hybride, patriarcale ou sororale, œdipienne ou genrée) mais s’il est encore possible d’exercer la psychanalyse dans un état qui se fonde sur l’inégale valeur des paroles, des désirs et des êtres car hiérarchisés par essence. La psychanalyse est-elle dès lors condamnée à la clandestinité ?


Voilà me semble-t-il, depuis le mandat qui est ici le mien pour quelques minutes encore, la grave affaire dont la future équipe va devoir délibérer.


C’est dans ce contexte général que je dois m’acquitter de la tâche qui me revient en cette Assemblée Générale qui, vous l’aurez compris, vire à l’assemblée de généraux (en carton-pâte) fin prêts à migrer avec leurs bardas (livres, crayons, cahiers, bref, de l’armurerie lourde) dans le maquis (je veux bien sûr parler du parc du Héron). Ma tâche ? Prononcer le rapport moral.


Vous en conviendrez, dans la situation actuelle, le syntagme « rapport moral » fait quelque peu frissonner : va-t-il falloir dans quelques jours prouver notre bonne moralité afin de pouvoir exercer dans un état où l’ordre règne à coup de rapport de police ? Soyez-en sûr, aucun râle ne pourra nous sauver de la mort, car dans un monde de porcs on est toujours fait comme un rat.


Trust, Police milice (1979)


Aussi, ce n’est pas sans appréhension que je m’avance dans ce rapport moral auquel je dois me soumettre au nom du respect des règles mais duquel je souhaite me démettre au nom de la liberté de mon désir !


Arthur H, C'est punk putain ! (2021)


Quand j’examine l’ensemble de nos activités de l’année et que j’essaie de les qualifier, cette phrase aux relents centristes, ce qui n’est pas fait pour me rassurer — serais-je donc en train de m’embourgeoiser ? — me vient : du changement dans la continuité. De la continuité, en effet, puisque nous avons reconduit les activités qui, depuis le départ, composent notre proposition collective, je veux bien sûr parler des séminaires, des événements et du blog, mais changement aussi en tant que nous avons subrepticement introduit en leur sein quelques variations que nous escomptons fécondes.


Considérons d’abord les séminaires : alors que le séminaire « Cure analytique, Psychothérapie analytique, Psychothérapie d’inspiration analytique » rencontre un succès qui ne se dément pas au fil des années, que ce soit par le nombre de ses participants ou par l’intérêt que son propos suscite, le séminaire « Acte analytique, Action politique », au dispositif plus modeste mais à la liberté plus évidente, poursuit son petit bonhomme de chemin d’atelier culinaire, celui où nous faisons notre petite cuisine théorico-clinique. Plus encore que les saisons précédentes — c’est là, me semble-t-il, que se loge la nouveauté —, ils se sont nourris l’un l’autre du lien secret qui les tisse, alors qu’ils sont aussi dissemblables que la carpe et le lapin. Secret car, aucun contenu manifeste ne s’échangeant de l’un à l’autre, c’est dans les souterrains que ça se passe, dans la dynamique inconsciente qui les saisit : la programmatique, la pédagogie, la clinique de l’un répondant à l’improvisation, la libre association, la cinématographie de l’autre, comme s’ils n’arrêtaient jamais de dialoguer dans une altération réciproque œuvrant autant du lien que du délien.


L’événement ensuite. Organisé le 17 février à la cave des Célestines, il a consisté en une balade analytique autour de « Vivian Maier et son œuvre ». Sans doute qu’il se soit tenu à Lille y est pour beaucoup, la curiosité autour de la « nounou-photographe » faisant le reste ainsi que, qui sait, la réputation naissante du Collectif, car rapidement des personnes ont réservé leurs places, enclenchant une vague d’achats qui ne s’est jamais stoppée puisque le jour J, avec nos 60 participants, nous avons fait salle comble. Outre la photographie, art que nous avions ignoré jusque-là, l’originalité et donc la nouveauté de cet événement tient dans l’entrecroisement dont il est le fruit, entre la procédure de l’Agalma et la force de travail du Collectif qui en a assumé toute la charge, des textes aux décors, des débats à la visite guidée. Précédemment, si notre théâtre-débat sur « 4.48 Psychose » de Sarah Kane avait lui aussi résulté de la procédure de l’Agalma, il avait été, pour une grande part, délégué dans son contenu à un texte existant et dans son exécution à une troupe de théâtre ; de même, si notre « trans-événement » avait été, pour l’essentiel, construit et pensé par le Collectif il avait été fomenté hors procédure de l’Agalma, ses membres fondateurs en étant les initiateurs. En associant la procédure, la création et l’exécution, notre déambulation analytique relevait, pour la première fois dans l’histoire du Collectif, d’un art analytique que l’on peut qualifier de total.


Le blog, enfin. La nouveauté, débutée l’an dernier, poursuivie cette saison et qui va se prolonger demain, c’est le choix de la série : hier, la série de cinq épisodes et quatre intermèdes du « trans-événement » ; aujourd’hui, la série de cinq épisodes qui structurent le « Vivian Maier et son œuvre ». En optant pour ce format, nous voulions nous procurer l’espace nécessaire pour pousser outre les événements en usant de l’effet d’après-coup, mais nous répondions aussi à la tendance feuilletonnesque du moment, espérant ainsi fidéliser un public biberonné aux personnages récurrents. Vu le nombre de visionnages, nous ne pouvons que constater le succès contrasté de notre initiative, la déperdition étant grande selon les épisodes, passant de 225 pour le plus lu à 59 pour le moins lu. De toute évidence, les lecteurs préfèrent les thèmes qu’ils connaissent à l’image du hors-série que fut l’analyse d’Anatomie d’une chute qui, à ce jour, a convaincu 189 cinéphiles.

 

Tissage, sérialité et art psychanalytique total, voilà les nouveautés de l’année qui se clôt avec ce rapport. S’il reste à les penser plus finement que je ne viens de le faire, ils ont en tout cas fonctionné pour nous comme autant de respirations dans un air de plus en plus rance.

 

Mickey 3 D, Respire (2003)


Si les variations dont furent l’objet blog, événements et séminaires apportèrent du neuf, elles ne furent pas nos seules respirations. Un événement que je n’ai pas encore évoqué et qui est d’un type nouveau puisqu’il s’agit d’un partenariat, nous a apporté, avec son souffle, un sacré bol d’air. Je veux bien sûr parler de la réunion de présentation des Choses muettes, magnifique premier roman de Kristina Ifwarson, membre fondatrice, certes sous un autre nom, du Collectif Lillois de Psychanalyse. S’il nous semble normal que le Collectif soutienne les projets de ses membres, même si ces projets quittent apparemment le cercle strict de la psychanalyse, cela nous a semblé d’autant plus normal que, dans le cas d’espèce, l’écriture de ce roman s’est faite pour un temps au moins conjointement à la création du Collectif. Bien qu’il soit difficile de déterminer quel apport l’un a eu sur l’autre, on peut toutefois avancer raisonnablement que l’acte fondateur qu’incarne Les Choses muettes en tant qu’il fait naître un écrivain, et j’ajouterais : quel écrivain !, n’est pas sans lien, pour partie au moins, avec l’acte fondateur du Collectif Lillois de Psychanalyse. L’acte du premier a sans doute nourri le deuxième comme le deuxième, par des couloirs secrets, a sans doute nourri le premier.

 

Lentement mais sûrement, j’en arrive aux projets des jours qui viennent. Que va proposer le Collectif Lillois de Psychanalyse pour le monde de demain ? Enjeu devenu plus crucial encore qu’à l’horizon se profile une longue nuit de Cristal. Vous l’aurez compris, vu le désastre électoral qui nous est promis, c’est un plan de bataille qu’il nous faut bâtir en guise de programme. Laissons à la rage qui nous étreindra sans doute si la catastrophe se confirme dans les urnes le soin d’improviser à chaud des actions mais si l’on considère déjà les manifestations que nous avons prévues, elles prennent alors une orientation particulière. Deux sont actées. La première n’est rien d’autre que notre « rencontre annuelle » que nous avons enjambée en novembre dernier, officiellement faute de temps, accaparés que nous étions par notre déambulation en cours, mais plus vraisemblablement faute du délai requis sans lequel « faire le point », but avoué de cette rencontre, aurait été prématuré. Avec une année de plus derrière nous et dans le contexte inflammable qui est désormais le nôtre, faire le point sur cet acte que l’on nomme « Collectif Lillois de Psychanalyse » est non seulement envisageable mais vital. Il est vital de savoir quelle place, quel rôle, quel sens prend cet acte dans un contexte d’extrême droitisation de la France. Le deuxième est une suite à la réunion de présentation. En effet, Les Choses muettes n’ayant encore que quelques heures d’existence, il n’était pas possible d’en faire une analyse poussée sans dévoiler l’histoire et donc couper l’herbe sous le pied de ses ventes. Il n’en sera plus de même dans quelques mois lorsque le livre aura fait le tour du monde et que les regards seront braqués vers d’autres imprimés. Viendra alors le moment d’en dévoiler toute la profondeur analytique. Il se trouve que, par ses thèmes — la double culture, l’identité, le refoulé nazi, etc…—, mais aussi par sa manière métissée de les traiter, il marche de plain-pied dans notre époque, si bien qu’il a beaucoup à nous apprendre.

 

À ces deux coups de canon déjà inscrits au feutre rouge sur l’agenda militaire, j’adjoindrai un tir en rafale. Le monde étant ce qu’il est, tissé de réseaux, d’Iphone et d’écrans, le Collectif se doit d’investir d’autres supports que ceux fréquentés afin que sa parole porte au-delà du périphérique de la psychanalyse locale. Dès lors, pourquoi pas se lancer dans la fabrication de podcasts, manière orale de diffuser des idées auprès d’un public jeune ayant plus l’habitude de se coller des écouteurs dans l’oreille que des livres dans les doigts. La difficulté principale à laquelle un tel projet nous confronte, c’est le manque de temps. Comment intégrer une activité de plus quand, déjà, avec celles existantes, nous flirtons dangereusement avec la surchauffe ? S’appuyer sur les textes publiés sur le blog, en sus de leur offrir une deuxième chance, permettrait de réduire significativement cet écueil.

Qu’en pensez-vous, soldats ?      

  

Suprême NTM, Le monde de demain (1991)  


En guise de conclusion, inspirons-nous de Kool Shen et Joey Starr :

« Le monde de demain

Quoi qu’il advienne nous appartient

La puissance est dans nos mains

Alors écoute ce refrain

De la psychanalyse qui vient

Alors écoute ce refrain

Du Clip républicain »


Signé par le groupe « Combat, Liberté et Psychanalyse »

Autrement dit, le Collectif Lillois de Psychanalyse.

 

 

 

 

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